Littérature étrangère

Stefan Zweig

Romans, nouvelles et récits II

  • Stefan Zweig
    Édition établie sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre
    Gallimard
    01/04/2013
    1584 p., 58 €
  • Chronique de Stanislas Rigot
    Librairie Lamartine (Paris)
  • Lu & conseillé par
    11 libraire(s)
illustration

Chronique de Stanislas Rigot

Librairie Lamartine (Paris)

Qui se cache derrière le faisceau de clichés enveloppant Stefan Zweig, parfois jusqu’à l’étouffement ? L’intégralité de son œuvre narrative publiée en Pléiade, accompagnée de l’indispensable et désormais légendaire appareil critique, dresse le portrait d’un homme et de ses contradictions très éloigné des habituelles idées reçues.

Les années n’entament pas la popularité de Stefan Zweig auprès des lecteurs, bien au contraire. Alors que son œuvre vient de tomber dans le domaine public, que les nouvelles traductions se multiplient et que les anciennes éditions se voient parées de nouvelles et seyantes couvertures, il semble que jamais Stefan Zweig n’ait été autant lu, la prescription scolaire faisant plus qu’écho dorénavant à l’engouement populaire. Une œuvre pléthorique à la réputation d’égale qualité, un label de confiance qui assure le succès aux quelques inédits parus ces dernières années, une réputation de génial touche-à-tout, du nouvelliste au romancier, de l’auteur dramatique au biographe, du traducteur en passant par l’éditeur, voici un Stefan Zweig désormais taillé dans le marbre des intouchables, paré à affronter l’éternité. Dans ce contexte particulièrement favorable paraissent les deux volumes de La Pléiade qui lui sont consacrés, soit quarante-huit textes reprenant l’intégralité de ses nouvelles ainsi que ses trois romans – le seul publié de son vivant, La Pitié dangereuse, les deux autres inachevés, Ivresse de la métamorphose et Clarissa – ainsi que deux textes que l’on peut qualifier de romanesque, Les Grandes Heures de l’humanité et Le Monde d’hier. Mais bien loin d’en rajouter sur le mode hagiographique, La Pléiade propose un parcours de l’œuvre, ici entièrement retraduite, enfin située, commentée et discutée ; et l’angle choisi par cette édition – les œuvres dites narratives replacées dans un ordre autant que possible chronologique – offre un regard débarrassé de tout affect et propose de nombreuses analyses jusqu’alors manquantes qui apparaissent comme d’indispensables éclairages. La magnifique préface de Jean-Pierre Lefebvre, responsable de cette édition, est à ce sujet exemplaire et révèle, au travers des aléas d’une vie marquée par les nombreuses poussées de fièvre d’un siècle chaotique, les ambiguïtés d’un personnage à la grande aisance financière, à la production fiévreuse, au succès quasi immédiat et constant, aux multiples conquêtes… Stefan Zweig a été un voyageur insatiable qui n’aura pas échappé aux errances répétées, aux absences elles aussi répétées, le tout sous le feu de nombreuses critiques (justifiées ?), notamment celles de ses pairs peu amènes (Thomas Mann, son ami Joseph Roth…), tant pour de prétendues faiblesses stylistiques qu’humaines (ses positions politiques louvoyantes) ; il a aussi été un homme aux abois, désespéré, qui finira par se donner la mort avec sa seconde femme. Débarrassé de ses légendes, Stefan Zweig apparaît alors tel qu’en lui-même : un auteur à la finesse d’analyse redoutable et à la profonde humanité, admirable peintre d’une époque révolue et regrettée, magnétique dans ses simplicités trompeuses, un auteur à lire et relire – les joyaux sont ici nombreux, de Vingt-quatre heures de la vie d’une femme à l’ultime Joueur d’échecs – et surtout un auteur à (re)découvrir.

Les autres chroniques du libraire