Beaux livres

J.M.G. Le Clézio

Les Musées sont des mondes

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Chronique de

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Quel bonheur de voir Le Clézio renouer avec la nouvelle ! Dix récits aussi délicats que marquants, des portraits de femmes décidées, pleines de force et de volonté. On y retrouve la finesse du trait qui caractérise les personnages de Le Clézio, et son talent de conteur qui nous fait entendre les voix du monde.

Avec un titre aussi énigmatique que Histoire du pied, impossible de deviner ce qui se cache derrière la première nouvelle de ce recueil de « fantaisies ». Mais à peine a-t-on lu quelques lignes que se dessine déjà une silhouette étonnante, déterminée mais pourtant un peu chancelante, qui avance en claquant les talons avec sa démarche singulière. C’est Ujine, l’étudiante en droit pour qui tout le poids d’une vie s’est planté là, dans ses deux pieds qui foulent le sol comme si la terre était brûlante. Tout chez elle est intense, de l’impact de son pas à ses histoires d’amour. Samuel lui, n’a pas encore posé son pas quelque part. Ses apparitions dans la vie d’Ujine sont aussi passionnées que ses disparitions sont violentes et soudaines, ne laissant aucune certitude. Alors quand elle tombe enceinte, Ujine sait qu’elle ne doit compter que sur elle-même et garder le dos bien droit malgré le poids de la solitude. En trois courts chapitres, cette première histoire donne le ton du recueil. Le Clézio nous parle de femmes volontaires, plus fortes que les hommes, qu’il nous montre tour à tour lâches, cruels ou parfaitement insignifiants. Au bout du monde ou tout à côté de nous, elles agissent en femmes, en mères, en amantes… avec une détermination et une magnifique confiance en l’humanité. Elles sauvent leurs hommes, comme Fatou, dans « Barsa, ou barsaq », qui parvient, au péril de sa vie, à sauver Watson d’une tentative ratée d’émigration en Espagne. Elles sauvent leurs filles, leurs petites-filles, à l’image de Yama, la grand-mère libérienne qui nourrit et cache en son sein la petite Mari au milieu de la guerre. Et si Letitia Elisabeth Landon ne peut plus sauver personne, elle a encore la possibilité de choisir de vivre ou de mourir. Car la trahison et le mensonge d’un homme, fût-il son mari et l’amour de sa vie, n’est tout simplement pas acceptable pour cet esprit poétique et romantique. Qu’elles soient jeunes filles ou vieilles femmes d’Afrique, d’Europe ou d’ailleurs, les figures féminines que Le Clézio fait vivre dans ces nouvelles ont pour trait commun la volonté de s’en sortir, une foi inconditionnelle en une force qui nous dépasse. Le voyage pour lequel nous embarquons est autant géographique que spirituel, car chacun de ces fragments féminins constitue ensemble une humanité que Le Clézio voit profondément et résolument féminine.

Nous n’aurons pas longtemps à attendre avant d’embarquer pour un autre voyage aux côtés de Le Clézio, car notre prix Nobel de Littérature 2008 est cette année l’invité exceptionnel du musée du Louvre, à l’occasion du cycle « Les musées sont des mondes ». Une opportunité rare de pouvoir approcher l’écrivain voyageur et sa vision de l’art comme point de rencontre des cultures. À travers des conférences, des lectures de textes, des concerts et des expositions, Le Clézio a choisi des voix, des images, des sons ramenés de ses voyages à Haïti, au Japon du nord, au Nigéria, en Corée, au Mexique et aux États-Unis hispaniques.

Les éditions Gallimard publient le catalogue de l’édition 2011 du cycle « Les musées sont des mondes » au Musée du Louvre.

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