Littérature française

Daniel Arsand

Je suis en vie et tu ne m’entends pas

illustration

Chronique de Marie Hirigoyen

Librairie Hirigoyen (Bayonne)

« Je salue la mémoire de ces déportés pour homosexualité qui témoignèrent de leur expérience concentrationnaire. Plus aucun d’entre eux n’est parmi nous. » Daniel Arsand porte ainsi le cri du silence. Bouleversant.

Plus qu’un hommage à ces victimes de l’horreur nazie, c’est un roman poignant, où Daniel Arsand, auteur d’une œuvre littéraire singulière et éditeur pour la France des écrits de Klaus Mann, explore le cheminement intérieur d’un homme dévasté. Il s’appelle Klaus lui aussi. Sans doute n’est-ce pas un hasard. En novembre 1945, il arrive à la gare de Leipzig, sa ville natale, détruite par les bombes alliées. Il a 23 ans. Il en avait 19 quand il a été arrêté et emmené au camp de Buchenwald, lieu de déportation des homosexuels. Hanté par la béance laissée par la perte de Heinz, le garçon tant aimé, il n’est qu’un survivant et tient debout presque malgré lui. Après ces longues années de torture, d’humiliations et de viols à répétition, il retrouve sa famille exsangue, épuisée par la guerre et les privations. L’ancienne incompréhension, la méprisante distance des siens, de ses parents et son frère, n’ont pas disparu malgré la souffrance subie. Une atmosphère lourde de non-dits et de reproches le pousse à fuir à Paris où il tente de se reconstruire. Apprendre à ne plus se méfier, accepter la main tendue, s’affranchir peu à peu des fantômes de la violence, de nouveau habiter son corps et sa conscience. L’apprentissage du métier de menuisier lui apprendra à polir les aspérités de son âme autant que celles du bois. Surviendra le miracle de la rencontre, de l’amour donné et reçu. Une lente réintégration dans un monde qui, progressivement, au bout de quelques décennies, en viendra à moins rejeter la différence. Daniel Arsand, comme toujours, excelle à capturer l’émotion brute et à l’incarner dans une prose fiévreuse, heurtée, à fleur d’une peau écorchée.

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