Polar

Frank Bill

Chiennes de vies

illustration
photo libraire

Chronique de Georges Arnoult

Librairie La Petite lumière (Paris)

Dix-sept nouvelles décapantes qui prennent pour décor l’Amérique profonde et dressent un constat affolant sur la violence gangrenant le monde rural. Steinbeck doit se retourner dans sa tombe !

C’est une plongée au fond de l’abîme. Dix-sept instantanés de vies écorchées par le malheur qui, bien souvent en Indiana, rime avec came, bourbon et armes à feu. Ce sont dix-sept nouvelles où la rédemption ne pointe que très rarement le bout de son nez. Dix-sept nouvelles de poudre et de sang. Cela commence comme un film de Tarantino, avec une porte de motel défoncée par deux affreux résolus à interrompre brutalement un deal organisé par… leurs propres enfants, coupables d’avoir tapé dans le sacro-saint stock familial de dope. Les malheureux clients sont exécutés sous les yeux des rejetons, histoire de leur faire passer l’envie de recommencer. Plus loin, un homme en cavale depuis plus de vingt ans est rongé par le chagrin et la culpabilité d’avoir jadis aidé sa femme, malade et condamnée, à abréger ses souffrances – en abrégeant par la même occasion celles du médecin. Les nouvelles qui composent Chiennes de vies sont chaque fois portées par une telle intensité qu’elles pourraient constituer l’ébauche d’autant de romans. Frank Bill excelle à créer des atmosphères et à brosser des personnages complexes, épais, avec une économie de mots qui force l’admiration. Il décrit également à merveille un univers, celui de l’État de l’Indiana, profondément attaché à ses traditions et à ses coutumes, au sein duquel les intrusions de la modernité ont souvent tendance à ne se traduire que par les ravages causés par les drogues de synthèse. La jeune génération est rongée par la drogue et contaminée par une violence omniprésente dans le quotidien, où le chômage, l’alcoolisme et la pauvreté font office de sainte Trinité. En dépit de ce sombre tableau, l’écriture de Frank Bill, qui se plaît à flirter avec les limites du tolérable, se laisse aussi aller à de brusques éclats de rire. Toutefois, aucune violence gratuite chez cet auteur, mais le constant souci de rendre hommage à la plus pure tradition du roman noir.