Bande dessinée

Luz

Catharsis

illustration

Chronique de Claire Rémy

()

« Vous êtes Charlie, prouvez-le ! » C’est par cette phrase que Luz a terminé son discours lors de l’enterrement de son ami Charb. Dans ce Catharsis en forme d’exutoire, il expose, sans fard et sans rien attendre de personne, les moments qu’il a dû traverser pour continuer à avancer, un pas après l’autre.

 

L’histoire, tout le monde la connaît. En ce matin du 7 janvier, Luz arrive en retard à la conférence de rédaction de Charlie Hebdo et échappe à la fusillade qui coûtera la vie à ses amis. Ce jour-là, il a 43 ans et a passé plus de temps qu’il n’aurait dû au lit avec sa compagne. Ça lui a sauvé la vie. Ensuite viendront l’horreur, la stupeur, l’engouement collectif et le poids médiatique qui pèse désormais sur le journal. Ça, tout le monde l’a vu, vécu, entendu. Mais derrière l’histoire, il y a un homme. Passé tout près de la mort, il est désormais pour beaucoup « le survivant ». C’est également l’auteur de la couverture du « numéro d’après », celle qui a fait le tour du monde et lui a offert une notoriété dont on imagine qu’il se passerait volontiers. C’est un homme sidéré, à l’image du petit bonhomme en couverture de cet album. Les yeux exorbités et les bras ballants, ce n’est plus face caméra mais dans son intimité qu’il doit se relever, faire en sorte que la vie, sa vie, continue. C’est ce chemin, sur lequel il va parfois chuter, qu’il nous livre ici.
À travers des épisodes marquants de ces derniers mois, sans chronologie ni unité graphique, c’est de l’émotion brute qui est couchée sur le papier. Essentiellement en noir et blanc, on sent que ces instantanés ont été pour la plupart faits à l’instinct, pour matérialiser une émotion et s’en défaire. Quand il repense à ce jour funeste et aux deux assassins, il les revoit en danseurs macabres, faisant des entrechats au son de la kalachnikov. Le trait est alors épais et délié, comme une peinture. Quand c’est sa compagne et leur intimité qu’il nous donne à voir, ses lignes sont plus aériennes, à l’image de ces moments hors du temps sur lesquels la détresse quotidienne n’a que peu de prise. Il y a aussi ces instants d’émotions pures où, comme hors de lui, Luz laisse sa main tracer sa douleur, sans rien contrôler, donnant vie à des pages certes gribouillées mais ô combien poignantes. Et puis il y a par moments ce rouge, couleur du sang, de la colère, du trop-plein. Cauchemar, moment d’absence, crise de folie, le rouge intervient alors et souvent, presque toujours, c’est l’amour qui ramène Luz sur un terrain plus doux. La voix de sa femme, ses yeux plantés dans les siens, toujours, pour l’aider à se relever et calmer ses angoisses. Mais n’allez pas croire que ce livre soit triste ou plombant. De véritables sourires jalonneront votre lecture, comme avec cet échange imaginaire entre Luz et Charb alors qu’il s’adresse en fait à lui-même, un autre lui qui ne le ménage pas. Avec beaucoup d’autodérision, Luz revient sur les mots qu’il a prononcés aux funérailles de son ami et en rigole encore. Parfois même, vous rirez de bon cœur parce que l’humour fait partie de l’ADN de Luz et de tout un chacun. Et que c’est ce à quoi on se raccroche pour avancer quand tout est noir. Finalement, quand on referme ce livre, véritable ode à l’amour, les larmes ont coulé mais ce n’est pas de tristesse. C’est le cœur gonflé de ce message que Luz nous fait passer : ils ont tué des innocents mais notre vie continue. Et elle sera belle.