Bande dessinée

Lewis Trondheim , Alfred

Castelmaure

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Chronique de Claire Rémy

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Dans la boîte à histoires de Lewis Trondheim, prolifique auteur touche-à-tout, il y avait donc un conte médiéval ! La mise en beauté a été confiée à Alfred, auteur et coloriste qui nous régalait l’an dernier du beau Senso (Delcourt). En résulte une réjouissante et poétique fable.

Cette histoire commence avec un mythographe. S’il n’est pas là pour nous raconter des craques (encore qu’il en entende beaucoup), il marche de ville en ville en quête de mythes anciens. Il porte ensuite à l’écrit ces traditions orales. Mais il est une histoire qu’il traque plus que n’importe quelle autre depuis vingt ans : la légende de Castelmaure. Imaginez plutôt : un château abandonné, isolé des terres par une tempête empêchant d’y accoster, le roi d’un prospère royaume mystérieusement disparu après le décès en couches de son épouse et des milliers de femmes qui sont tombées enceintes en même temps que la reine. Ces grossesses, à l’évidence maudites autant que mystérieuses, ont toutes débouché sur des enfants morts-nés ou difformes. Voilà qui attiserait la curiosité de n’importe quel collecteur de récits ! Nul n’a jamais revu le bon roi Éric mais l’heure semble être au changement. Pour faire avancer cette intrigue, nous ne sommes pas accompagnés que du seul mythographe mais également d’une sorcière mangeuse d’yeux cherchant à échapper à un terrifiant fantôme, de jumeaux siamois exploités par un forain, d’un jeune garçon à la personnalité multiple et d’une jeune fille prise de pulsions meurtrières dès qu’un homme s’approche d’elle. Tous vont faire partie intégrante d’un récit choral des plus prenants.

S’emparant d’un genre souvent vu en BD, Lewis Trondheim parvient comme souvent à le rendre original grâce à une galerie de personnages aussi attachants qu’intrigants. Si tous portent en eux un profond sentiment de culpabilité contre lequel ils luttent plus ou moins douloureusement, il n’y a bien, au final, qu’un seul responsable de cette tragédie que fut Castelmaure. Rythme et dialogues ciselés font de cette fable un véritable page-turner dont différence et résilience sont les maîtres-mots, sans oublier une pincée d’humour légère et intelligente. Alfred lâche son trait et fait vivre tout ce petit monde sous nos yeux avec dynamisme et inventivité. Les décors permettent de nous faufiler telles des souris au cœur de l’action. Les émotions retranscrites sur les visages des personnages tirent sur le burlesque et les couleurs, vives et éclatantes (comme souvent avec ce grand coloriste) donnent au récit beaucoup d’énergie. Mention spéciale pour la double page du château dans la tempête dont on rêverait de voir l’original°! À l’évidence, nos deux auteurs se sont follement amusés à écrire et mettre en scène ce récit°: cette jubilation transparaît ! On se régale !