Bande dessinée

Valérie Mangin , Thierry Démarez

Alix Senator

illustration
photo libraire

Chronique de François-Jean Goudeau

Etablissement Scolaire ESTHUA - Université d'Angers (Angers)

Les créations de Jacques Martin traversent le temps. Surtout l’une d’elles, la série des « Alix », incarnation d’une aventure humaine initiatique se déroulant dans l’Antiquité romaine, toujours fiévreusement documentée. La « mythologie alixienne » se poursuit aujourd’hui grâce à l’un de ses héritiers les plus sensibles. Entretien avec le dessinateur Marc Jailloux.

Page — À quel public s’adressent aujourd’hui les aventures d’Alix : au public nostalgique de feu le journal Tintin – dont je fais partie ! –, ou à une nouvelle génération d’adolescents, qui, au gré du long voyage du jeune Gaulois et de son ami égyptien, se reconnaît dans les affres et les interrogations de cet âge charnière ? Je pense à cette phrase du début de l’album : « C’est un manque intense et douloureux que j’ai connu moi aussi : l’absence d’un père pour te guider et te relier au monde. »
Marc Jailloux — Très sincèrement, je n’ai pas la réponse... Casterman devrait lancer un audit ! Un sondage avait toutefois été déjà mené, en 1987, à l’époque de Vercingétorix. Moi qui ai repris la série depuis trois albums consécutifs, je me fie d’abord au lectorat en dédicace. Qui, fort heureusement, ne se limite pas à un simple public de collectionneurs. Cette série touche un large public familial, dont des femmes qui se font dédicacer des albums pour elles-mêmes. Je suis également surpris du nombre croissant d’enfants plébiscitant la série. Il reste que je serais bien incapable de vous fournir la typologie, comme le pourcentage exact, de nos différents lecteurs. Concernant ce 34e volume, notre objectif, avec le scénariste Mathieu Bréda, a justement été de créer une aventure unique, permettant au nouveau lecteur de s’y immerger aisément, tout comme de donner envie au plus fidèle de replonger dans les anciens albums ; notamment ceux auxquels nous faisons référence pour le passé d’Héraklion, comme Le Dernier Spartiate, Le Dieu Sauvage ou Le Cheval de Troie. Je suis très respectueux de l’œuvre (je n’ai jamais eu de remarque du comité Martin), même si rien n’est figé et que j’essaie toujours d’imaginer ce qu’aurait fait l’auteur originel, à mon âge et en 2015. Lui-même a évolué au fil de ses albums, et n’oublions pas que le public a aujourd’hui comme références « antiques » – je parle ici des plus connues – des films comme Gladiator ou la série télévisée Rome.

Page — Par-delà le Styx est donc très lié au Dernier Spartiate (une des œuvres phares de la série) : pensez-vous que le thème du peuple déchu, en quête de son passé glorieux, est un thème central – à l’instar de l’intranquillité adolescente – de ces aventures ?
M. J. — Ce sont effectivement deux thèmes très importants. Alix n’est pas un héros lambda. C’est un héros tourmenté, plus complexe qu’il n’y paraît, notamment en raison de son passé. Le thème des peuples insoumis était cher à Martin. Ce n’est pas un hasard si la série des Alix reste la bande dessinée de référence de l’Antiquité. Car c’est son personnage qui incarne le mieux l’Antiquité auprès du grand public, de ses prémices à la République romaine. Même si sa soif de justice, ses valeurs, confrontées à des gens sans foi ni loi, à la barbarie, nous renvoient bien souvent à notre époque.

Page — Quelle est votre recette pour réussir, dans votre dessin, à saisir la petite musique martinienne ?
M. J. — Mon parcours l’explique certainement : j’ai commencé par être l’encreur, durant trois ans, de Gilles Chaillet qui lui-même avait été formé par Jacques Martin sur la série des Lefranc (dont le 26e tome, Mission Antarctique, vient de paraître – NDLR). C’est comme une passation d’artisanat. Même si j’avais déjà ces codes-là au fond de moi, car ils me sont familiers depuis ma plus tendre enfance. Avec une passion pour l’œuvre, pour la période, pour toute cette école de Bruxelles : Hergé, Jacobs, Martin.

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