Essais

Taous Merakchi

Créature légendaire

L'entretien par Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

Lorsqu'on se prénomme « Taous », on fait souvent face à des questions concernant la signification de ce prénom et surtout son origine. Une source d'intérêt qui peut, selon un contexte social, politique différent, devenir source de suspicion, voire de rejet. Taous Merakchi, alias Jack Parker, nous confie sa quête de réconciliation avec cet « être-paon ».

Pensez-vous qu'un prénom puisse marquer d'un sceau particulier une personnalité, un destin ?

Taous Merakchi - Ça dépend évidemment de tout un tas d'éléments, mais oui, le prénom peut jouer un rôle dans la destinée d'un individu. Si je m'étais appelée Alice Martin (un prénom qui avait été envisagé et le vrai nom de famille de mon père), je sais que ma vie aurait été différente, ma personnalité aussi, parce que j'aurais été perçue différemment par les autres. Ma différence aurait été moins marquée, personne ne m'aurait demandé de compléments d'informations à chaque présentation, je n'aurais pas été mise dans une case d'office, ça a clairement joué dans mon cas.

 

Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez, à un moment, choisi de prendre un pseudo ?

T. M. - Je ne voulais pas qu'on juge mes écrits ou ma personnalité en fonction de mon genre et surtout de mes origines, donc j'ai choisi Jack Parker. J'étais moi-même encore aux prises de beaucoup de préjugés et de restes de tout ce que j'ai déconstruit par la suite, je ne lisais pratiquement pas de femmes et encore moins d'auteurs non-blancs, parce que j'étais convaincue que ce ne serait que du pathos et des chouineries superficielles. Autant dire que j'ai fait pas mal de chemin depuis, mais j'avais 18-19 ans quand j'ai créé ce pseudo et j'étais obsédée par Bukowski et cie : c'était ça que je voulais devenir et certainement pas une « écrivaine ».

 

Qu'est-ce qui vous rapproche (ou vous éloigne) des caractéristiques que l'on prête au paon ?

T. M. - Comme le paon, on peut m'entendre à un kilomètre à la ronde quand je ne fais pas attention. J'ai le cri et le rire tonitruant faciles : en général on me repère facilement dans une soirée parce que j'ai une tendance à l'exubérance dans mon comportement, j'existe fort et je parade pas mal aussi. Y en a qui trouvent ça marrant, y en a qui trouvent ça pénible, les deux points de vue se valent.

 

Est-ce que la réconciliation avec votre « être-paon » a été une quête solitaire ou collective ?

T. M. - Ça s'est fait beaucoup seule dans ma grotte parce que je ne suis pas un animal très sociable mais j'ai quelques personnes dans ma vie qui ont été essentielles dans cette quête : ma mère, mon compagnon et mes meilleures amies, les gens qui me sont le plus proche et qui m'ont toujours aimée entièrement, sans chercher à m'amputer de quoi que ce soit sauf quand j'en manifestais moi-même l'envie. Maintenant il y a aussi ma fille, pour qui j'essaye d'être un exemple pas trop bancal et devant qui je fais attention, notamment quand je me regarde dans le miroir, pour qu'elle ne m'entende jamais dire des choses violentes envers moi-même alors qu'elle me ressemble déjà tellement. Je ne peux pas l'encourager à être aussi grande qu'elle en a envie, à rayonner et à emmener les autres dans son sillage si je ne le fais pas moi-même avant.

Quand on voit votre livre dans cette collection, c'est une évidence, mais comment s'est fait ce choix ?

T. M. - Par hasard et au culot ! J'ai rencontré Isabelle Sorente grâce à une amie commune, l'écrivaine Élise Thiébaut. Lorsque je me suis retrouvée quelques semaines plus tard à une soirée littéraire, elle était le seul visage que j'ai reconnu dans l'assemblée. Donc je suis allée me coller à elle pour ne pas rester seule au milieu de la foule avec ma coupe de champagne. À la deuxième coupe, je lui ai confié que je m'étais posé la question : « Et si Isabelle m'invitait à faire partie de la collection, quel animal je choisirais ?" ». Parce que je trouvais l'exercice vraiment intéressant. Je lui ai déroulé ma réflexion et elle a manifesté un intérêt que j'ai d'abord pris pour de la politesse. Mais quand elle m'a écrit quelques jours plus tard pour me dire qu'elle en avait parlé à l'équipe de JC Lattès et qu'ils étaient partants, les choses se sont accélérées d'un coup. Sans cette série de hasards, c'est un texte que je n'aurais sans doute jamais écrit, un exercice auquel je ne me serais pas livrée et je ne sais pas comment il est reçu quand on n'a pas vécu ce que j’y raconte. Mais en tout cas moi, je suis vraiment très heureuse d'avoir pu l'écrire. 

 

Vous avez sans doute connu Taous Merakchi, écrivaine, rédactrice web, autrice du podcast Mortel (Nouvelles Écoutes) ou encore Feu de camp (NRJ), sous le pseudonyme de Jack Parker. Pourtant, ce prénom Taous, qui signifie « Le Paon » en kabyle, était celui de son arrière-grand-mère maternelle, « une femme qui a eu un rôle important dans la vie de ma mère ». Pourquoi a-t-elle donc senti le besoin de s'éloigner de ce prénom ? Et pourquoi a-t-elle, à un moment dans sa vie, eu envie de retrouver cet « être-paon » comme elle le nomme ? Un parcours passionnant qu'elle retrace avec sincérité, humour et parfois une pointe de noirceur, et qui trouvera sûrement écho chez d'autres âmes dont le destin fut marqué par un prénom.